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Les cahiers des Talents de l’Outre-Mer

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Livio RUFFINE, Chercheur en physico-chimie

Originaire de Vieux-Habitants en Guadeloupe, docteur en Chimie. Il a travaillé en tant que chercheur associé à la Chemical Engineering Department- Imperial College of London de 2005 à 2008. Depuis 2008, il travaille au département des Géosciences Marines de l’Ifremer- Brest.

Parlez-nous du métier que vous exercez à l’IFREMER ?

Je suis chercheur en physico-chimie des fluides et des hydrates de gaz à l’IFREMER (Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer). Concrètement, je travaille sur la migration des fluides (eaux et hydrocarbures) et leur réactivité dans les sédiments océaniques. J’essaie de comprendre comment se forment les hydrates de gaz dans les sédiments, leur importance pour le développement des écosystèmes des grands fonds et quels sont les facteurs physico-chimiques qui peuvent provoquer leur déstabilisation.

Quel cursus avez-vous suivi afin de l’exercer ?

J’ai obtenu un bac Scientifique au Lycée Gerville-Reache de Basse-Terre, puis j’ai effectué un parcours universitaire : une licence en chimie-Physique (Université Henri Poincaré de Nancy), un Master en chimie industrielle et procédés appliqués aux hydrocarbures (IFP-School/ UPMC), et enfin un doctorat en chimie avec une spécialité en thermodynamique appliquée à l’industrie pétrolière (IFP-School/ Université Claude Bernard de Lyon).

Vous pouvez nous parler des hydrates des fonds marins ?

Les hydrates de gaz naturels sont des composés cristallins constitués de molécules de gaz naturel renfermées dans une cage d’eau. Ils ressemblent à de la glace et se forment dans les sédiments des marges continentales à grandes profondeurs d’eau. Ces composés renferment une quantité considérable d’hydrocarbures, beaucoup plus que toutes les réserves prouvées exploitables de pétrole et de gaz, conventionnelles et non-conventionnelles, réunies. De ce fait, ils sont considérés comme une ressource potentielle d’énergie. Ils sont également sensibles à une élévation de la température des fonds océaniques. Cela pourrait conduire à leur déstabilisation, et potentiellement induire des glissements de terrain sous-marins.

Travaillez-vous avec les institutions en Outre-Mer ?

Non, mais je souhaiterais sincèrement qu’une opportunité se présente dans mon champ de compétences. Jusqu’à présent, nous n’avons pas encore trouvé d’hydrates de gaz dans la ZEE française. Nous pensons à la Guyane. Cependant, il y a beaucoup de questions scientifiques relatives aux gisements d’hydrocarbures conventionnels auxquelles il faudrait apporter des éléments de réponse avant de prospecter pour des accumulations d’hydrates de gaz. Toutefois, il me serait possible de travailler avec les institutions en Outre-Mer sur d’autres thématiques.

Pouvez-vous porter vos compétences au profit de votre île natale à terme ?

Si vous pensez à mes compétences dans le domaine des hydrocarbures, la réponse serait plutôt non. En revanche, si vous pensez au secteur énergétique en général, la réponse est oui. Pour pasticher la formule d’un président de la république française : en Guadeloupe, nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons d’autres ressources. C’est le cas de la géothermie, l’éolien, la bagasse de canne à sucre, etc. Prenons le cas de la géothermie. Les méthodes géochimiques de caractérisation des fluides et d’estimation de la profondeur des sources sont similaires à celles utilisées dans l’exploration pétrolière. Par ailleurs, je m’intéresse également à la circulation des fluides dans les failles de certaines zones tectoniques, où les risques sismiques sont élevés. Je suis actuellement impliqué dans des études au large d’Haïti et d’Istanbul. Des études similaires sont en cours au large de la Guadeloupe, avec une très forte connotation géologique. Si une composante « fluides » venait à s’y greffer, et que l’Ifremer y participe, je pense que je profiterais de cette occasion.

Comment avez-vous vécu le fait de recevoir le prix Talent de l’Outre-Mer ?

Cette mise en lumière a-t-elle eu un effet bénéfique sur votre parcours ? Le prix des Talents de l’Outre-Mer m’a t fait très plaisir. J’étais fier de le recevoir. J’avais une pensée particulière pour ma mère, ma famille et comme je le dis souvent « tout pèp Géry é Bel-Air an mwen ». Cela n’a pas eu d’impact direct sur mon parcours. Cependant, ce fut une motivation supplémentaire pour donner le meilleur de moi-même dans mon travail.

Quel conseil donneriez-vous aux jeunes ultramarins afin de les motiver à suivre le chemin des Talents de l’Outre-Mer, notamment aux jeunes qui sont en proie à des difficultés dans nos régions ?

L’opération « Les Talents de L’Outre-Mer » récompense une réussite. C’est le fruit d’un investissement personnel, le plus souvent dans les études car elles constituent la voie classique de la réussite sociale, mais parfois dans la mise en valeur de certaines qualités sportives ou artistiques. J’ai grandi en Guadeloupe, dans un contexte socio-économique difficile qui caractérise nos régions ultramarines. Je pense que ce contexte difficile développe en nous une certaine résilience qui nous permet de faire face à l’adversité et de réussir dans ce que nous entreprenons. J’aurais tendance à leur dire de ne pas oublier cette résilience qui nous caractérise, nous ultramarins, et qui nous permet de réaliser de belles choses.

Quel regard portez-vous sur la situation socio-économique des départements d’Outre-Mer en 2014 ?

Un regard de plus en plus préoccupant, en particulier pour les jeunes dont le quotidien est envahi par la précarité. C’est vrai pour la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion, la Guyane et Mayotte. Cela montre aussi à quel point il y a identité dans les schémas socio-économiques appliqués à nos régions, qui, probablement, intègrent difficilement notre contexte géographique. Il serait également dangereux d’éluder le problème en avançant l’excuse doctrinale qui consiste à dire que les jeunes se complaisent dans cette situation précaire. Je pense que le renouveau socio-économique des départements d’Outre-Mer pourrait s’accomplir, entre autres, par la valorisation des richesses naturelles et culturelles.

Votre définition de l’innovation en Outre-Mer ?

Innover suppose introduire de la nouveauté dans un système existant, ou encore créer un nouveau système, produit ou service. Pour cela, il faudrait mener une réflexion approfondie sur les secteurs potentiellement porteurs dans chaque DOM.  L’innovation en Outre-Mer passera par la mise en valeur de nos richesses naturelles (agricultures, pêches, réserves naturelles, énergies renouvelables, etc.) et leur utilisation de manière raisonnée, à travers la création de produits et de services à forte valeur ajoutée. Maintenant que c’est dit, on fait quoi concrètement ? Je dois avouer que je n’ai pas la réponse à cette question. Une réflexion doit être menée conjointement entre les structures publiques de recherche et de formation, comme l’AUG, les politiques locales et nationales, et les acteurs du secteur privé afin d’inventer des produits, des concepts, des services pour mieux faire valoir nos cultures et nos ressources, puis les faire rayonner hors de nos territoires. Mais le secteur privé semble être en quasi état de stase dans les DOMs et a besoin de soutien.

Quels sont vos projets actuels ?

Ma priorité actuelle est la préparation d’une mission scientifique en mer de Marmara qui aura lieu en octobre prochain. Je serai le chef de mission du leg de géochimie dont l’objectif est de comprendre la migration des hydrocarbures au niveau de la faille nord anatolienne (une faille sismique très active) et du réseau de failles secondaires associé.

Quels sont vos passions, vos loisirs ?

J’aime passer du temps avec mon épouse et ma fille, sortir et voyager en famille. Brest est un peu excentré, donc je vois moins le reste de ma famille ainsi que mes amis d’enfance restés dans l’hexagone. Le téléphone permet de maintenir les liens. Je regarde très peu la télévision, je préfère la lecture et la radio.

Un livre de prédilection ? Une "bible" ?

A vrai dire, je n’ai pas de livre de prédilection, mais les écrits de certains auteurs m’ont marqué et ont influencé ma façon de percevoir le monde et d’appréhender la société dans laquelle nous vivons. Je pourrais citer Guy Tirolien, Eduardo Galeano, Jared Diamond, Frantz Fanon, Georges Orwell, et tant d’autres !

Une idole, un modèle ou un penseur dans l’histoire, dans la fiction ou dans notre société actuelle vous accompagne ?

Je n’ai pas d’idole, plutôt des références qui reflètent mes goûts littéraires et qui ont fortement contribué à la structuration de ma vision de la société. Cependant, le parcours de Malcom X m’a marqué. La vie de cet homme, dont les discours galvanisaient les foules, a été un apprentissage perpétuel. En tirant des leçons de chacune de ses expériences, bonnes et mauvaises, il n’a cessé de réviser sa vision de la société pour se rendre compte au final que « la couleur de la peau ne doit pas être un critère d’appréciation ». Dans la société actuelle, on a tendance à oublier que l’introspection facilite l’acceptation de l’autre. Quel geste faites-vous au quotidien afin de préserver l’environnement, de réduire votre bilan carbone ?

On dit que la Bretagne est le jardin de la France. Je consomme préférentiellement les produits locaux, j’éteins les lumières en partant d’une pièce, j’essaie de limiter l’usage de la voiture.

Nous serons 9 milliards d’être humains en 2050. Les cités de demain, pourront-elles à votre avis être construites sur ou sous les mers ?

Avec les gratte-ciel, l’Homme a conquis les airs. Je pense qu’il est techniquement capable de réaliser des cités sur, voire sous la mer. Toutefois, serait-il raisonnable d’entreprendre de telles réalisations ? Où ? Pour qui et dans quelles conditions ? Parle t-on de cités dortoirs ou de véritables cités urbaines ? Quel seront les impacts sur les écosystèmes marins, sur les ressources halieutiques ? Il est bien évident qu’une telle entreprise nécessiterait que soient pris en considération des aspects scientifiques, techniques, juridiques et sociétaux. Il est donc important de faire avancer les connaissances dans le domaine maritime afin de répondre à ces questions.

Un film, un reportage à recommander ?

Je regarde très peu la télévision. J’ai vu récemment « Les bêtes du sud sauvages », j’ai beaucoup apprécié. J’apprécie le cinéma d’art et d’essais.

Votre nourriture favorite ? Au sens propre et figuré.

Au sens propre, le colombo de cabri avec un zeste de piment ; au figuré, le sourire de ma fille et celui de mon épouse.

Un artiste que vous appréciez ?

Difficile de choisir, je dirais Patrick Saint-Eloi, Fabwis, Otis Redding, Francis Cabrel, Misié Sadik, Anzala, et tant d’autres !

Une devise pour l’Outre-Mer ?

Je dois avouer que je n’ai jamais été doué pour les formules. C’est un peu paradoxal pour un physico-chimiste.

*Questionnaire réalisé par Yola Minatchy