Actualités

Ensemble, osons pour l'Outre-Mer !

Les cahiers des Talents de l’Outre-Mer

Newsletter

Votre adresse email :

Hommage à Aimé Césaire, les Talents de l’Outre-Mer à l’Assemblée Nationale

Le 25 juin 2013, le Président de l’Assemblée Nationale, Monsieur Claude Bartolone, en présence du Ministère des Outre-Mer, Victorin Lurel, reçoit des ultramarins à l’Hôtel de Lassay afin de célébrer le centenaire du grand poète et parlementaire Aimé Césaire, "défendeur infatigable de l’égalité des droits".

Le président de l’Assemblée Nationale a convié à cette occasion des comédiens, accompagné de Christophe Césaire au piano, pour une lecture scénique et intégrale du Discours sur le colonialisme, oeuvre incontournable, texte "qui va le plus loin dans la dénonciation du colonialisme et de l’esclavage", "une oeuvre qui demeure pour tous une source d’inspiration".

Extraits du Discours écrit en 1950

"Une civilisation qui s’avère incapable de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation décadente.

Une civilisation qui choisit de fermer les yeux à ses problèmes les plus cruciaux est une civilisation atteinte.

Une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde.

Le fait est que la civilisation dite « européenne », la civilisation « occidentale », telle que l’ont façonnée deux siècles de régime bourgeois, est incapable de résoudre les deux problèmes majeurs auxquels son existence a donné naissance : le problème du prolétariat et le problème colonial ; que, déferrée à la barre de la « raison », comme à la barre de la « conscience », cette Europe-là est impuissante à se justifier ; et que, de plus en plus, elle se réfugie dans une hypocrisie d’autant plus odieuse qu’elle a de moins en moins chance de tromper.

L’Europe est indéfendable.

Il paraît que c’est la constatation que se confient tout bas les stratèges américains.

En soi cela n’est pas grave.

Le grave est que « l’Europe » est moralement, spirituellement indéfendable.

Et aujourd’hui il se trouve que ce ne sont pas seulement les masses européennes qui incriminent, mais que l’acte d’accusation est proféré sur le plan mondial par des dizaines et des dizaines de millions d’hommes qui, du fond de l’esclavage, s’érigent en juges.

On peut tuer en Indochine, torturer à Madagascar, emprisonner en Afrique, sévir aux Antilles. Les colonisés savent désormais qu’ils ont sur les colonialistes un avantage. Ils savent que leurs « maîtres » provisoires mentent.

Donc que leurs maîtres sont faibles.

Et puisque aujourd’hui il m’est demandé de parler de la colonisation et de la civilisation, allons droit au mensonge principal à partir duquel prolifèrent tous les autres".

"En vérité, il est des tares qu’il n’est au pouvoir de personne de réparer et que l’on n’a jamais fini d’expier. Mais parlons des colonisés.

Je vois bien ce que la colonisation a détruit : les admirables civilisations indiennes et que ni Deterding [Henri Detering contribua à mettre en place le cartel du pétrole dans les années 1920 : les Seven Sisters], ni Royal Dutch, ni Standard Oil ne me consoleront jamais des Aztèques et des Incas.

Je vois bien celles – condamnées à terme – dans lesquelles elle a introduit un principe de ruine : Océanie, Nigéria, Nyassaland [nom colonial du Malawi, en référence au lac Nyassa]. Je vois moins bien ce qu’elle a apporté.

Sécurité ? Culture ? Juridisme ? En attendant, je regarde et je vois, partout où il y a, face à face, colonisateurs et colonisés, la force, la brutalité, la cruauté, le sadisme, le heurt et, en parodie de la formation culturelle, la fabrication hâtive de quelques milliers de fonctionnaires subalternes, de boys, d’artisans, d’employés de commerce et d’interprètes nécessaires à la bonne marche des affaires.

J’ai parlé de contact.

Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, l’impôt, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies.

Aucun contact humain, mais des rapports de domination et de soumission qui transforment l’homme colonisateur en pion, en adjudant, en garde-chiourme, en chicote et l’homme indigène en instrument de production.

À mon tour de poser une équation : colonisation = chosification.

J’entends la tempête. On me parle de progrès, de « réalisations », de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes.

Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées.

On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemins de fer.

Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la vie, à la danse, à la sagesse.

Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme (du mot larbin, péjoratif, qui signifie domestique, valet, homme servile. PTAG).

On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés.

Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.

On se targue d’abus supprimés.

Moi aussi, je parle d’abus, mais pour dire qu’aux anciens – très réels – on en a superposé d’autres– très détestables. On me parle de tyrans locaux mis à la raison ; mais je constate qu’en général ils font très bon ménage avec les nouveaux et que, de ceux-ci aux anciens et vice-versa, il s’est établi, au détriment des peuples, un circuit de bons services et de complicité.

On me parle de civilisation, je parle de prolétarisation et de mystification.

Pour ma part, je fais l’apologie systématique des civilisations para-européennes.

Chaque jour qui passe, chaque déni de justice, chaque matraquage policier, chaque réclamation ouvrière noyée dans le sang, chaque scandale étouffé, chaque expédition punitive, chaque car de C.R.S., chaque policier et chaque milicien nous fait sentir le prix de nos vieilles sociétés.

C’étaient des sociétés communautaires, jamais de tous pour quelques-uns.

C’étaient des sociétés pas seulement anté-capitalistes, comme on l’a dit, mais aussi anti-capitalistes.

C’étaient des sociétés démocratiques, toujours.

C’étaient des sociétés coopératives, des sociétés fraternelles.

Je fais l’apologie systématique des sociétés détruites par l’impérialisme.

Elles étaient le fait, elles n’avaient aucune prétention à être l’idée, elles n’étaient, malgré leurs défauts, ni haïssables, ni condamnables. Elles se contentaient d’être. Devant elles n’avaient de sens, ni le mot échec, ni le mot avatar. Elles réservaient, intact, l’espoir.

Au lieu que ce soient les seuls mots que l’on puisse, en toute honnêteté, appliquer aux entreprises européennes hors d’Europe. Ma seule consolation est que les colonisations passent, que les nations ne sommeillent qu’un temps et que les peuples demeurent.

Cela dit, il paraît que, dans certains milieux, l’on a feint de découvrir en moi un « ennemi de l’Europe » et un prophète du retour au passé anté-européen."

Photos des Talents à la cérémonie et au buffet de clotûre

Vue de l’entrée de l’Hôtel de Lassay Allocation d’ouverture de Claude Bartolone, président de l’Assemblée Nationale Marianne Matheüs, comédienne et chorégraphe Christophe Césaire en accompagnement au piano Le président, les élus et les comédiens Les invités Bruno Sainte-Rose Ryaz Daoud Aladine Les talents avec le président de l’Assemblée Nationale Yola Minatchy discutant avec Victorin Lurel, ministre de l’Outre-Mer